Apprendre la coopération et apprendre de la coopération
8 août 2016
La relève a toujours été l'une de mes grandes préoccupations. Sans relève, il n’y a pas d’avenir pour le mouvement coopératif. Et sans éducation à la coopération, l’émergence d’une relève risque d’être compromise. Les dernières années m'ont donné la chance de côtoyer et de collaborer avec Gabriella Ana Buffa, jeune leader du mouvement coopératif âgée de 32 ans et originaire de l'Argentine. Gabriella a été élue en 2012 à titre de présidente du comité jeunesse de l’Année internationale des coopératives formé par la Confédération des coopératives de la République argentine. Et depuis 2013, Gabriella est la représentante mondiale de la jeunesse au conseil d’administration de l’Alliance coopérative internationale (ACI).
En préparation du livre Carnet de rencontres, qui regroupe 18 entrevues réalisées avec des leaders du milieu coopératif, je me suis entretenue avec Gabriella afin d'échanger sur sa vision de la coopération. Voici le fruit de notre échange (tiré du livre Carnet de rencontres):
« Mon rêve, c’est que plus de gens s'impliquent et participent au mouvement coopératif afin de construire une société plus juste, égalitaire, démocratique et que nous soyons encore plus nombreux à travailler vers ces objectifs communs. » Gabriella Ana Buffa MFL: Comment voyez-vous l’avenir du mouvement coopératif dans votre pays ? Quels sont les occasions et les défis que vous voyez, que ce soit pour l’Argentine ou, plus largement, pour l’Amérique du Sud ?
GAB : Je pense que les plus grands défis que nous avons sont en lien avec la consolidation de l’héritage que nous a laissé l'Année internationale des coopératives durant laquelle le mouvement coopératif argentin a organisé des débats et formulé des propositions pour la prochaine décennie. Nous avons besoin que plus de gens connaissent le mouvement coopératif et qu’ils y participent. Et qu’ils choisissent les produits des entreprises coopératives.
L'économie et l’intégration institutionnelle sont aussi des défis majeurs tant sur le plan national qu’international. Les coopératives de travailleurs doivent être intégrées dans les chaînes de production et ainsi pouvoir contribuer au développement des communautés locales. Intégrer aussi, à tous les niveaux du système d’éducation, l’enseignement de la coopération et pouvoir, par la suite, compter de plus en plus sur des gens mieux formés, qui pourront collaborer à ce que le mouvement coopératif continue de se développer.
Il faut aussi poursuivre la réflexion sur nos pratiques et faire systématiquement des expériences de sorte que nous posséderons une base de connaissances sur les coopératives. Le mouvement coopératif doit compter sur ses propres données, ses propres statistiques pour améliorer les processus, la qualité des services et de la production.
MFL : À titre de jeune leader, croyez-vous que le modèle coopératif est susceptible de susciter l’intérêt et même l’enthousiasme des jeunes ?
GAB : Oui, je crois que le modèle est très intéressant pour les jeunes. Le problème est qu’ils ne le connaissent pas assez. Je pense que le modèle coopératif n'est pas encore suffisamment répandu pour que les jeunes le choisissent comme modèle de développement et comme mode de vie. Cependant, nous voyons de nouvelles et très jeunes coopératives dans le milieu des technologies et des communications, domaines dans lesquels les jeunes sont très présents. Mais il reste encore beaucoup à faire pour que ce soit une option plus souvent perçue comme valable et choisie comme modèle d’entreprise. Les jeunes, les coopératives et l’État
Gabriela Ana Buffa est une jeune femme qui conjugue un idéal élevé et une approche rationnelle de la réalité sociale. Cela transparaît quand elle parle de ce qui, de son point de vue, distingue les coopératives des autres entreprises.
« Les différences que je remarque sont essentiellement sur le plan de la prise de décisions collectives et de la participation démocratique. La répartition de la richesse est une autre caractéristique qui nous différencie des autres types d’entreprises. Il y a aussi la façon dont nous intervenons dans la communauté afin d'améliorer la qualité de vie. Il y a nos principes et nos valeurs qui nous différencient, de même que l’importance que nous accordons à la protection de l'environnement, au développement durable et à une consommation socialement responsable. »
Les jeunes ont eux aussi un rôle à jouer pour que les coopératives se développent. Gabriela croit par exemple que les jeunes qui sont déjà engagés dans le secteur coopératif doivent contribuer à intéresser d’autres jeunes. « Mon rêve, c’est que plus de gens s'impliquent et participent au mouvement coopératif afin de construire une société plus juste, égalitaire, démocratique et que nous soyons encore plus nombreux à travailler pour réaliser des objectifs communs. »
Selon elle, les coopératives doivent influencer les États, les aider et les encourager à s’améliorer. Dans sa conception, ce rôle peut devenir un atout pour rendre le mouvement coopératif plus attrayant pour les jeunes. « Je pense que la gestion des coopératives peut servir d’inspiration à l’État. Je crois que le mouvement coopératif et ses dirigeants doivent aussi s’engager face aux problèmes de la communauté. Ils doivent être une caisse de résonance pour attirer l’attention sur les problèmes locaux, en arriver à les régler ensemble et contribuer à améliorer les lois actuelles.
« Je pense que nous devons impliquer les jeunes, leur offrir la possibilité de participer pleinement et de façon pertinente. Donner généreusement de l’espace aux jeunes, non pas parce qu’ils ont une place à prendre, mais parce que nous voulons travailler et apprendre ensemble, avec tous les membres du mouvement coopératif. Nous vivons dans un monde de plus en plus complexe et incertain. Nous devons donc être de plus en plus créatifs pour trouver des solutions aux problèmes communs. »
Nous avons besoin de dizaines de milliers de Gabriela, un peu partout à travers le monde, qui réalisent que le modèle coopératif offre une autre voie pour répondre aux besoins des personnes, assurer le développement des communautés et contribuer à créer une prospérité durable.
Chacun peut avoir son idéal et choisir ses priorités, sa façon de vouloir contribuer au bien commun. Dans les coopératives, l’enthousiasme et la fraîcheur de la jeunesse sont précieux et représentent un gage de pérennité.
À une époque où on entend « what’s in it for me ? » plus souvent que « comment puis-je aider ? », il faut encourager les jeunes à prendre le relais. Pour cela, il faut leur enseigner ce qu’est la coopération et remercier ceux qui, comme Gabriela, choisissent de s’engager.